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Documents Justice
27 janvier 2009

La formation des personnels pénitentiaires en France(4)

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Il faut attendre le 21 février 1901 pour voir apparaître de nouvelles instructions[1][1] à l’occasion de l’envoi aux directeurs d’établissements d’une circulaire sur le recrutement des élèves de l’école supérieure et du volume « dictées choisies, recueil des extraits des études les plus connues sur les questions pénitentiaires, réunies pour seconder les efforts dans le sens de l’instruction morale des gardiens ». L’Administration centrale joue à l’époque le rôle d’un centre d’animation pédagogique.

Soutenue par Monsieur Duflos, directeur de l’Administration Pénitentiaire entre 1893 et 1901, l’Ecole Pénitentiaire pâtit de son départ. Son budget amputé, elle disparaît en 1903, alors que les écoles élémentaires de gardiens périclitent également.

En exemple, les députés rejettent le projet du gouvernement de créer dix emplois de gardiens dans les prisons de la Seine destinés, d’une part à compléter l’effectif de Fresnes, d’autre part, à remplacer les gardiens suivant une formation à l’Ecole Supérieure en 1899. La Revue pénitentiaire s’en attriste : « Ce projet a été rejeté, bien à tort. On sait en effet, combien le nombre de gardiens est réduit en France, et combien cela est déplorable, car le détenu se trouve ainsi partiellement sevré des influences salutaires qui devaient s’exercer sur lui. Le régime des prisons cellulaires doit être tout différent de celui des emmurés du Moyen Age »

En 1900, Cuche, professeur adjoint à la faculté de droit de Grenoble, dresse le constat accablant de la condition de gardien : « insuffisance lamentable », « nombre excessif d’heures de présence », « traitement dérisoire de 80 francs par mois, que leurs absorbantes fonctions ne permettent pas d’arrondir par de menus travaux pour les particuliers ». Cuche se réjouit cependant de l’existence de l’Ecole Supérieure Pénitentiaire, où les élèves effectuent dorénavant un stage de neuf mois (du 15 novembre au 15 juillet, suivant une circulaire du 10 février 1897 et où vingt-deux agents sont passés en 1898-1899 : « Nous sommes au début d’une période nouvelle, où les modestes fonctionnaires s’apprêtent à jouer un véritable rôle de pasteurs d’hommes. II ne faut plus qu’aucune défaveur s’attache à la mission de protection sociale et de réforme morale qui leur incombe tous les jours plus lourdement ».[2][2]

Cuche se fait des illusions car lors de la discussion du budget pénitentiaire à la Chambre des députés le 20 janvier 1902, il est décidé de réduire considérablement le très modeste budget affecté au fonctionnement de l’Ecole Supérieure Pénitentiaire, qui dut fermer ses portes en 1903 ...

La raison invoquée ne manqua pas de surprendre : fermeture provoquée « par une déviation du programme primitif, sous l’influence de personnalités qui s’étaient imposées pour y venir traiter des matières étrangères aux gestions pénitentiaires » - En fait les élèves gardiens entendent sortir de leur triste condition pénitentiaire, et ils s’ouvrent l’esprit au point d’inviter des conférenciers (en exemple l’ancien communard Jean Allemane, ancien détenu)[3][3]

L'Ecole supérieure fonctionna régulièrement jusqu'aux dernières années du XIXe siècle. Protégée par Duflos, le directeur de l'Administration, animée par l'inspecteur général Camille Granier et encouragée par Renouard, le directeur de la Santé, elle prodiguait un enseignement très ouvert à des agents souvent jeunes et de qualité. Les choses commencèrent à se gâter en 1901, après que le conseiller à la Cour des comptes Duflos eut été remplacé par le préfet Grimanelli, cependant qu'à la Santé le directeur Pancrazi succédait à Renouard. Certains directeurs, blanchis sous le harnais, avaient mal accepté l'arrivée dans leurs établissements de jeunes gradés et commis, dotés, grâce à l'Ecole, d'un bon bagage et d'une ouverture d'esprit certaine. Ils firent pression sur le nouveau directeur, qui ne résista pas beaucoup. Dans une instruction du 21 février 1901, Grimanelli ne s'embarrassait pas de précaution : à ses yeux, les prisons avaient plus besoin de « l'autorité de l'expérience » que de « gardiens-chefs qui n'auraient fait leurs preuves que sur les bancs de l'Ecole » ; aussi, l'accès à l'Ecole pénitentiaire supérieure consista-t-il désormais à « récompenser les meilleurs éléments». Le budget de l'Ecole supérieure fut amputé de 6 000 F dans la loi de finances de 1902, de 3 000 F dans celle de 1905, avant d'être carrément supprimé en 1907. L'Ecole pénitentiaire avait réussi à former 16 promotions d'élèves, elle devait laisser dans les consciences un souvenir fait de beaucoup de regrets. Les directeurs d'établissement ne se contentèrent pas de saboter l'Ecole supérieure, sous le prétexte officiel qu'elle prodiguait « plus d'enseignement général que d'enseignement pénitentiaire, » ils s'en prirent aussi aux écoles élémentaires ».

« Dès 1910, le préfet Grimanelli ayant été remplacé dans l'intervalle par Schrameck, l'homme lige de Clemenceau, l'Inspection générale établissait un triste bilan : « Le niveau intellectuel des gardiens de prison n'est pas, au point de vue de l'instruction, très supérieur aujourd'hui à ce qu'il était avant 1893 ». Et l'inspection de mettre le doigt sur le cœur du problème : « Rien n'est plus désirable que de donner à ce personnel une instruction professionnelle et générale qui fasse des agents les égaux de certains détenus. Il arrive, en effet, trop fréquemment, que, dans les services confiés aux détenus que l'on dénomme « comptables » ou « écrivains » sous la prétendue surveillance des gardiens, le gardien est moins instruit, moins intelligent que le détenu, et que, si l'on veut avoir des renseignements précis, c'est le détenu qu'il faudrait, sinon interroger directement, du moins, écouter quand il prend la parole, pour parer aux explications hésitantes ou erronées de l'agent pénitentiaire. » »

            

La position de l'inspection générale, fleuron de l'Administration pénitentiaire, ne devait jamais varier sur ce point.

Sur cette première expérience de formation des personnels pénitentiaires, les personnalités appelées à juger et à contrôler le service des anciens élèves devenus surveillants-chefs sont unanimes à reconnaître qu’ils ont constitué pour l’administration un cadre excellent. (A suivre)


[1][1] Code des prisons, tome XVI, page 33.

[2][2] P. CUCHE, « Etat actuel du système pénal et pénitentiaire en France », Revue pénitentiaire, 1900, p.1462

[3][3] J.ALLEMANE né au village de Boucou en Haute Garonne, le 25 août 1843, mort à Herblay en Seine et Oise le 6 juin 1935, républicain sous l’Empire, communard déporté à la Nouvelle Calédonie, a donné son nom à une tendance du mouvement ouvrier français renaissant. Il s’adapta difficilement à l’unité et vécut assez pour survivre longtemps à sa rupture en 1920. (Congrès de Tours)


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